Sherlock fut réveillé en sursaut par des cris. Ils étaient quelque peu atténués par le brouillard dans son cerveau, mais ils avaient réussi à percer son sommeil. Il essaya d’ouvrir un œil mais abandonna bien vite l’initiative. Il avait l’impression qu’un marteau battait son crâne. Il essaya de mettre de l’ordre dans ses pensées mais pour cela, il avait besoin de voir autour de lui. Ouvrant les paupières au ralenti et se redressant sur un coude, il fit pivoter doucement sa tête afin d’avoir une vision globale de la pièce. Ouf, il reconnaissait les lieux. Il était dans le salon de chez Lène. Mais qu’est-ce qu’il fichait ici ? Les pleurs toujours en fond sonore, il se repassa tant bien que mal le film de la veille. Les faits lui revinrent par bribes, mais lui revinrent malgré tout. Une énorme dispute avec sa mère. Il en avait marre d’être traité en sous-merde par ce dragon et hier, alors qu’elle lui faisait encore des remarques au sujet du projet Athéna, ça avait dégénéré. Les disputes aussi violentes n’étaient pas rares entre la mère et le fils, mais cela faisait longtemps que ça n’avait plus eu lieu et Sherlock pensait naïvement qu’ils avaient dépassé cette période. A l’évidence, il s’était trompé. Il s’était retrouvé dans un bar, énervé, et avait appelé Lène, réflexe dès qu’il avait des problèmes familiaux. Il s’était mis à se passer les nerfs à travers le combiné mais elle lui avait dit de ne pas bouger, qu’elle arrivait. L’attendant, il s’était vidé une bouteille de whisky en parlant musique avec un type accoudé au bar. Le reste était vaguement flou. Il se rappelait avoir parlé à Lène pendant des heures, remis le couvert avec le whisky, ne pas avoir vu le temps passer… Puis son amie avait dit quelque chose comme « Tu peux pas retourner chez toi, si Calypso te voit dans cet état… » Evidemment, Sélène était au courant des sentiments qu’il éprouvait pour sa vieille ennemie/colocataire. Et voila qu’il se réveillait chez elle. Rassemblant les pièces du puzzle, tout cela était logique.

Il essaya de se redresser mais sentit son cœur battre dans ses temps. Aïe. Les pleurs – qui appartenaient au bébé de Sélène, Ewanna, il s’en rendait compte maintenant – s’étaient faits plus espacés pour finir par s’arrêter. Sherlock s’affala à nouveau sur le canapé, s’apprêtant à replonger dans le sommeil, bien qu’il doute qu’il puisse y arriver. C’est à ce moment qu’il entendit quelqu’un entrer dans la pièce. Il ouvrit un œil, c’était Lène. « Ne me laisse plus jamais toucher au whisky, d’accord ? » dit-il en guise de bonjour d’une voix pâteuse. Il s’assit dans le canapé et la couverture qu’il avait sur lui glissa. Il se rendit soudainement compte qu’il était torse nu et qu’il ne portait qu’un caleçon. Lock’ eut une vague de panique, qu’est-ce qui avait bien pu arriver à ses vêtements ? Heureusement, il se rendit compte que ceux-ci avaient été jetés en un petit tas à côté du canapé, ce qui eut pour effet de le soulager instantanément. Par contre, ses pompes n’étaient nulle part dans son champ de vision. Pitié qu’elles soient quelque part dans la maison. Il posa les pieds à terre, s’enroulant dans la couverture, et tâtonna vers la table basse jusqu’à trouver sa montre. « 6h30 ? mais qu’est-ce que tu fiches debout à cette heure ? »

Sherlock n’avait jamais, au grand jamais, été du matin. Mais là, ce n’était même pas le matin, pour lui c’était encore le milieu de la nuit et ses tempes le faisaient souffrir. C’était la dernière fois, il en était sûr. Plus jamais il ne se mettrait dans un état pareil. Note que ce n’était pas la première fois qu’il se faisait cette promesse à lui-même et il voyait le premier que cela ne l’avait pas mené bien loin. Heureusement que Sélène avait été avec lui hier soir. Elle était bien la seule personne sur la planète à pouvoir le résonner et surtout, la seule qu’il écoutait quoi qu’il arrive. Jusque là, il lui avait toujours donné une confiance aveugle et elle ne l’avait pas déçu une seule fois. Une fois de plus, elle s’était occupée de lui et Lock devait bien avouer qu’il se sentait tout de même un peu coupable. Elle avait déjà un enfant, elle n’avait pas besoin qu’il se mette à faire le gosse lui aussi. Mais il ne voulait pas penser à la raison pour laquelle il avait perdu le contrôle. Il devait laisser couler et serrer les dents. Ce ne serait pas une première, de toute façon. Il n’eut pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour oublier sa mère puisque dès qu’il vit la petite Ewana calée sur la hanche de Lène, son cœur éclata. Elle était si craquante, il avait beau faire le dur lorsqu’il avait ses moments, le distant en ce qui concernait Callie et le mystérieux au sujet de sa famille, dès qu’il voyait la petite, il fondait. Elle tendait les bras vers lui et instinctivement il fit de même, écoutant Lène d’une oreille distraite. Il avait entendu le nécéssaire : c’était l’heure du biberon. A la simple idée qu’elle devait nourrir sa fille à 6h30, les envies de famille nombreuse qui prenaient Sherlock lorsqu’il voyait Ewana se dissipèrent quelque peu. Sélène était courageuse, il l’avait toujours su, mais elle le surprenait un peu plus chaque jour.

Lorsqu’elle vint déposer la petite sur ses genoux, il se mit à la bercer avec tendresse, ne la quittant pas des yeux même lorsqu’il répondit à son amie. « T’en fais pas, elle est entre de bonnes mains. Hein oui qu’on s’amuse bien ensemble ? » Continua-t-il d’une voix enfantine en faisant bouger les petits bras d’Ewana. Il aurait été mortifié si Calypso l’avait vu dans cet état ne collant pas du tout avec son image habituelle mais devant Lène il n’avait aucun tabou. Elle le connaissait par cœur et savait depuis le début qu’il était fou de sa fille. Alors qu’elle leur échappa pour partir dans la cuisine s’occuper du biberon, il ne pouvait s’empêcher de se demander comment elle faisait pour tenir le coup alors qu’elle vivait avec un mini reflet de Caël. Jamais elle n’aurait pu ne pas penser à lui après ce qui s’était passé entre eux et l’oublier comme ça, Lock en était conscient. Mais sa fille, c’était un rappel constant. Il n’avait jamais osé aborder ce sujet avec elle car il savait que ça avait toujours été délicat et il ne voulait pas la mettre mal à l’aise, surtout pas. Il faisait sauter doucement Ewana sur ses genoux en gazouillant avec elle, réveillé désormais. Un bon café ne lui aurait pas fait de mal mais sa tête était de moins en moins lourde. Il espérait que ce n’était pas seulement un effet temporaire dû au bébé mais que ça persisterait. Sélène revint avec le biberon et le donna à Ewana d’une main experte, tout en lançant un regard lourd de sous-entendus à Sherlock. Il fallait bien que cette conversation soit mise sur le tapis tôt ou tard et il la sentait arriver. « Dis-moi, Lock... Pourquoi t'as autant bu ? Je veux dire, je me doute que c'est à cause de ta mère – c'te dragonne, vraiment – mais j'aimerais savoir ce qu'il s'est passé exactement. » Il ne s’était pas trompé. Il se passa la main sur le visage, cherchant à mettre de l’ordre dans ses idées – tiens, il était vraiment temps qu’il se rase – et son regard se perdit sur le visage innocent de la petite, buvant à grandes goulées. Tiens, encore un point commun entre Ewana et lui. « Je sais pas. C’est juste que… je croyais enfin être assez bien pour elle. Avec le projet Athéna, tout ça, j’avais l’impression qu’on avait une chose en commun. J’ai vraiment pensé que nos disputes étaient derrière nous et voila qu’elle… C’était même pas une enguelade. Plutôt une moquerie. Elle s’est foutue de moi et m’a humilié devant plein de collègues et le pire c’est que… » Il s’interrompit, ne sachant pas bien comment formuler ça. « C’est qu’elle avait l’air de bien s’amuser. Tu sais comment elle est mais là, c’était pire. J’ai vraiment l’impression qu’elle me déteste. »